Vers 1583 paraît la première édition imprimée (gravée sur bois) à Louvain. |
Voilà comment Patrick Gautier Dalché
directeur de recherche (Centre national de la recherche scientifique) et
directeur d’études à l’École pratique des hautes études décrit l'oeuvre Imago Mundi.
directeur de recherche (Centre national de la recherche scientifique) et
directeur d’études à l’École pratique des hautes études décrit l'oeuvre Imago Mundi.
Les derniers mots du manuscrit original copié sous la direction de son auteur (Cambrai, Bibl. mun. 927) indiquent la date d’achèvement de l’Imago mundi. C’est dans sa résidence épiscopale de Cambrai que Pierre d’Ailly composa ce copieux traité de cosmographie et de géographie.
Pierre d’Ailly avait d’abord fréquenté la faculté des arts, où l’on étudiait les sciences, avant de les enseigner lui-même au collège de Navarre une fois devenu maître ès-arts – on conserve d’ailleurs certains de ses cours, notamment en astronomie. Dès ses études de théologie, ses vastes connaissances et son éloquence le firent rapidement connaître et assurèrent sa célébrité. En des temps troublés par le schisme d’Occident et par des conflits sanglants au plus haut niveau de l’État à la suite de la folie du roi Charles VI, il joua un rôle prépondérant dans des débats théologiques où les oppositions politiques avaient leur part, s’attirant ainsi l’hostilité du duc de Bourgogne qui chercha à empêcher son installation à Cambrai. Après le concile de Pise, les tensions se relâchèrent un peu et, une fois vaincue l’opposition du duc, il disposa du loisir nécessaire pour satisfaire la dévorante curiosité intellectuelle dont il avait déjà donné maints exemples. Pour quelles raisons le théologien s’intéressait-il alors à des questions qui, d’ordinaire, étaient plutôt le propre des philosophes ?
À première vue, malgré la clarté d’exposition qui est le propre des œuvres de Pierre d’Ailly, l’Imago mundi ne contient rien d’exceptionnel. Le but didactique est affirmé d’emblée par la présence en ouverture de schémas des cieux et de la terre. Le traité aborde ensuite les sphères célestes, étoiles et planètes, les zones climatiques terrestres, les régions habitables et inhabitables. Puis il décrit les trois parties de la terre habitée, les îles, les mers et les fleuves. Les deux disciplines de la cosmographie et de la géographie sont reliées par la notion d’origine grecque de climata, façon d’exprimer la latitude et de diviser la terre habitée de l’équateur vers le pôle selon la durée variable du jour le plus long de l’année.
Tant dans ses exposés théoriques que dans ses descriptions, Pierre d’Ailly offre, suivant les habitudes universitaires, une compilation des opinions de ses prédécesseurs qu’il cite le plus souvent textuellement. Ses sources essentielles sont le Traité de la sphère de Jean de Sacrobosco (milieu du XIIIe siècle), manuel de base de l’enseignement de l’astronomie planétaire, l’Opus majus de Roger Bacon (fin du XIIIe siècle) et le Traité de l’espère de Nicolas Oresme (milieu du XIVe siècle). Pour la géographie descriptive, il utilise, outre Bacon, des encyclopédies et des textes géographiques datant aussi bien de l’Antiquité tardive que du haut Moyen Âge.
Ces sources – loin d’être toutes identifiées – révèlent l’étendue de ses lectures. L’Imago mundi a pourtant été jugée fort sévèrement par les historiens. On n’a voulu y voir qu’un matériel obsolète et dépassé n’apportant presque rien de nouveau par rapport aux géographes antiques. Le savoir qu’elle transmet, généralement taxé de livresque, serait coupé d’une « réalité géographique » que l’expérience seule aurait pu faire connaître – elle était d’ailleurs disponible, puisque des voyageurs avaient récemment ouvert les espaces asiatiques à la conscience occidentale. En un mot, cette somme témoignerait d’une désolante paresse intellectuelle caractéristique de l’université médiévale. Un florilège de ces opinions toujours vivantes aboutit à donner l’impression d’une grave régression… Au mieux, on crédite l’auteur d’avoir réalisé une sorte d’encyclopédie des connaissances « médiévales » sur la terre.
copie emportée par Christophe Colomb dans son voyage vers les "Indes" |
Aux yeux d’historiens attachés à imaginer des « précurseurs » des Découvertes, une seule chose sauva l’évêque de Cambrai : Christophe Colomb, lisant son œuvre dans l’édition parue à Louvain vers 1480, y aurait découvert ou reconnu son intuition de la possibilité de gagner les « Indes » en naviguant vers l’ouest. L’Imago mundi citait en effet, par l’intermédiaire de Roger Bacon, l’idée exprimée par Aristote d’un océan relativement peu étendu situé entre Europe et Asie, rendant ainsi concevable un voyage maritime. Il est certain que Colomb reproduisit cet avis dans ses écrits en soulignant l’autorité que lui conférait le « cardinal de Cambrai ». Mais ce n’était qu’une opinion parmi bien d’autres qui toutes concouraient à assurer la possibilité conceptuelle du voyage vers l’ouest.
L’intérêt et l’importance de l’Imago mundi ne résident ni dans ces jugements anachroniques, ni dans ces traits anecdotiques. En réalité, elle a pour but de justifier une vision du monde et de l’histoire humaine marquée par l’astrologie. Quelques années après l’avoir achevée, en 1414-1415, Pierre d’Ailly écrivit en effet une série de traités justifiant la valeur explicative de l’astrologie, et il joignit l’Imago mundi à ce corpus. « Theologia naturalis », l’astrologie permet, selon lui, de comprendre l’action divine qui s’exerce sur l’humanité. Dans un programme rendu urgent par la crainte de la fin des temps, la description rigoureuse du monde terrestre considéré dans ses rapports avec les sphères célestes complète la validation théorique de l’astrologie.
Il n’est donc pas étonnant que, quelques années plus tard, Pierre d’Ailly ait été l’un des tout premiers savants à examiner la Géographie de Ptolémée récemment traduite en latin à Florence, en s’interrogeant dans un Compendium cosmographiae à tort négligé sur la compatibilité de l’image ptoléméenne avec celle des auteurs reçus, et en cherchant à comprendre techniquement les nouveaux modes de représentation de l’espace qui en ressortaient. Il s’est ainsi livré à un très minutieux travail de comparaison et d’analyse, afin de mieux fonder sur des coordonnées géographiques plus nombreuses et plus sûres ce rapport entre choses célestes et terrestres qui était pour lui, comme pour la plupart de ses contemporains, la condition fondamentale du destin de l’humanité voulu par Dieu.
Examinée sous cet angle, selon les vues de son auteur, l’Imago mundi est un excellent révélateur de la vision du monde complexe des hommes de la fin du Moyen Âge et du début des Temps modernes.
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